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Vous pouvez retrouver cet article sous forme de vidéo sur Youtube, ou en podcast.

Si vous découvrez ce billet de blog, sachez dès le départ que je suis un des co-auteurs de la méta-analyse Fiolet et al. 2020 sur l’effet de l’hydroxychloroquine sur la mortalité des patients hospitalisés atteints de Covid-19, publiée dans Clinical Microbiology and Infection. Suite à cette méta-analyse, il a été assez amusant de voir le nombre de gens avoir un avis sur qui je suis, sur mes valeurs, et sur mon travail. Ce billet a donc pour objet de vous raconter l’envers du décor de mon activité sur les réseaux sociaux pendant cette pandémie, et de la fameuse méta-analyse.

Et déjà pour commencer, non je ne suis pas un jeune étudiant. J’ai 34 ans, je suis chercheur. J’ai travaillé au CNRS et maintenant je suis collaborateur scientifique et chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel, en Suisse. Donc bon, on est assez loin du gamin pas sorti de l’école.

Donc je suis chercheur en biologie, et on ne va pas se mentir, au début de l’année, le Covid-19 on en rigolait plutôt. La plupart d’entre nous trouvait qu’on en faisait trop pour cette histoire et on était assez d’accord avec Didier Raoult qui disait “il y a 3 Chinois qui meurent, ça fait une pandémie”. En fait, la seule chose qui me préoccupait était de savoir si j’allais pouvoir participer à mon congrès préféré, la DGP 2020. Cette conférence a eu lieu cette année à Kaiserslautern en Allemagne, entre le 4 et le 6 Mars. Il y avait à ce moment là 2 cas déclarés à l’Université de Kaiserslautern, et des mesures simples de désinfection des mains étaient mises en place dans l’Université, où avait lieu le congrès. Personne ne portait de masque. Le congrès était très détendu, et niveau distanciation sociale, ce n’était pas top.

Ma présentation à la DGP 2020. Niveau distanciation sociale on est très limite.

Un certain nombre de chercheurs, dont pas mal de Russes, avaient déjà annulé leur venue à la DGP à cause du Covid. On commençait juste à prendre la mesure de la pandémie qui arrivait. En fait, les virologues et les épidémiologistes avaient très bien compris le truc dès la fin Janvier.

Contexte

Pour se remettre dans le contexte, c’est en Mars que tout s’accélère.:

Le 25 Février, Didier Raoult publie une courte vidéo intitulée “Coronavirus, fin de partie”, renommée ensuite “Coronavirus, vers une sortie de crise ?”. Dans cette vidéo, il dit que l’hydroxychloroquine est un médicament valide qui a des effets spectaculaires sur le Covid-19. Didier Raoult n’est pas un inconnu dans le milieu scientifique. Tout bon biologiste a déjà étudié les Mimivirus, qu’il a découvert. L’annonce est donc plutôt prise au sérieux, même si nous attendons les résultats. Pourquoi ? Parce qu’une hypothèse scientifique ça se teste, ça ne se déclare pas. L’hypothèse apparaît fondée, puisque des communications chinoises orientent vers ce traitement, mais aucune étude concluante n’existe encore.

Le 16 Mars, Didier Raoult sort une vidéo présentant les premiers résultats de son étude avec l’hydroxychloroquine.

Le 17 Mars, le confinement est déclaré en France. On observe une espèce de panique dans la population : les gens réclament des masques, désinfectent leurs courses, etc.C’est la ruée vers les pâtes et le PQ. La communication du gouvernement sur les masques est d’ailleurs assez nase, et commence à créer une perte de confiance de la part de la population, même si l’OMS ne recommande pas l’usage du masque à ce moment là.

Le 18 Mars, une vidéo complotiste accusant l’Institut Pasteur d’être à l’origine du virus se répand sur la toile. L’auteur a depuis été condamné pour diffamation. Dans la foulée, et parce que mes amis me le demandent, je sors une vidéo réponse en guise debunk, qui a un peu de succès. A partir de cette date, je commence à être assez actif sur les réseaux sociaux (facebook, twitter), où je partage de temps en temps des points épidémiologiques.

Le 20 Mars, sort la première étude de l’IHU sur l’hydroxychloroquine, le fameux Gautret et al. , en preprint. 

Évaluer scientifiquement l’efficacité de l’hydroxychloroquine

Et là, stupeur : il y a un énorme décalage entre les déclarations victorieuses de Didier Raoult et la réalité scientifique de cet article. L’étude ne permet pas du tout de donner les conclusions qui y sont présentées. Je ne vais pas revenir là-dessus car cet article a été analysé maintes fois, notamment par Alexander Samuel ici, , ou dans cet article que j’avais traduit et vulgarisé ici. Et c’est là que l’opposition Didier Raoult vs le reste du monde a commencé à se construire. L’argument principal des défenseurs de l’hydroxychloroquine et de Didier Raoult est que ce dernier est une sommité du domaine, et que ses travaux sont donc inattaquables.

En soi, ce n’est pas un problème d’avoir une étude un peu mal construite. Et surtout en temps de pandémie, où il faut aller un peu vite et produire de l’information rapidement, on peut comprendre qu’on ne prenne pas le temps de faire un essai de très grande ampleur, etc. En revanche, ça en est un, de problème, quand les données sont potentiellement sciemment bidouillées pour valider une conclusion écrite a priori. Quand on regarde les données, il paraît impossible qu’à ce stade Didier Raoult et les équipes de l’IHU soient convaincus par leurs résultats. Pourtant, ils vont s’enfoncer dans cette voie. Fait ahurissant, cette étude sera publiée le 22 Mars dans International Journal of Microbial Agent, dont le board éditorial est composé de collaborateurs de Didier Raoult. C’est un journal qui ne fait pas partie du haut du panier en termes de réputation, ce qui est un indice de plus sur la qualité du papier : si l’article permettait effectivement de conclure à une efficacité “spectaculaire” de l’hydroxychloroquine, il aurait été publié facilement dans une grande revue, comme le Lancet, ou NEJM. Curiosité : l’article a été accepté en 2-3 jours. C’est à dire qu’entre le moment où l’article a été soumis à l’éditeur, le moment où l’éditeur a envoyé l’article aux reviewers, le moment où les reviewers ont envoyé leurs commentaires, le moment où les corrections ont été apportées, et le moment où l’article a été accepté pour publication, il y a eu 2-3 jours. De là à dire qu’il n’y a pas eu de relecture par les pairs, il n’y a qu’un pas. A titre d’exemple, quand je review un article, cela me prend une dizaine d’heures au minimum, souvent étalées sur plusieurs jours pour laisser décanter quand je dors. L’article est tellement problématique que Elsevier, la maison d’édition à laquelle appartient le journal où Gautret et al. est publié, sort un communiqué pour dire que l’article est pas top.

Bref, la communauté scientifique est déçue de ce papier, qui ne permet pas de valider l’hypothèse de l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement des patients atteints de Covid. De là commencent à se construire plusieurs oppositions : “Marseille contre Paris”, “Méthodologistes contre médecins de terrain”, etc. On arrive sur le champ lexical de la médecine de guerre, qui s’appuie sur la fameuse déclaration de Macron : “Nous sommes en guerre”. Sauf qu’on n’est pas en guerre, on est en pandémie…

Loin de convaincre la communauté scientifique, ce discours fait en revanche mouche auprès d’une population anxieuse qui a besoin de réponses. Et ça se comprend très bien. Sauf que les réponses scientifiques ne peuvent émerger que de la méthode scientifique, qui doit donc être soignée. Comme dit Etienne Klein dans une vidéo que je ne retrouve plus : “La science ne peut répondre qu’à des questions scientifiques, mais elle est la seule à pouvoir y répondre”. La méthode scientifique est le seul outil qui nous permette de tester, valider ou invalider une hypothèse scientifique. Elle est pénible, rebutante, précise, mais elle fait partie de l’art, du métier. Dans tous les métiers, la technique est garante de la qualité de l’ouvrage. C’est vrai en boulangerie, dans le bâtiment, en sport, etc. 

Pour la communauté scientifique, il devient alors crucial d’expliquer la méthode scientifique, l’esprit critique, l’éthique des essais cliniques (cf l’article de Juliette Ferry-Danini à ce sujet), etc. Seulement, ce sont des sujets très techniques, difficiles, qui demandent des efforts, du temps et des ressources mentales. Attention, je ne dis pas qu’il faut être intelligent pour les comprendre. Ce que je veux dire, c’est que quand on est inquiet par le confinement, qu’on risque de perdre son boulot, qu’on doit gérer les gosses qui sont à la maison, et qu’on nous dit qu’on a trouvé un médicament miracle, on n’a pas forcément envie de se taper 3 articles sur le principe d’équipoise, 2 vidéos sur les statistiques, etc. C’est normal. Ce qui est anormal en revanche, c’est que des scientifiques utilisent cette vulnérabilité de la population pour leur gloire personnelle, dans un moment où c’est la collectivité qui doit prévaloir. Quand on demande à sa population une abnégation incroyable pour soutenir une première vague  fulgurante, que penser de ceux qui surfent sur cette vague pour se faire mousser, vendre des livres, ou plus récemment sortir des films ? 

Place du chercheur et genèse de la méta-analyse

Entretemps, je réfléchis pas mal à mon rôle, en tant que scientifique, à jouer dans cette pandémie. L’Université est fermée pour les étudiants, je travaille à la maison. Atteint d’une toux de plusieurs semaines (qui s’avèrera être de l’asthme allergique dû aux pollens, mais bon, il n’y avait pas trop de tests à l’époque) je suis de toute façon contraint de rester chez moi. J’écris, mi-mars, une petite note sur Linkedin pour expliquer comment nous, scientifiques, avons échoué à prendre la mesure de cette pandémie, alors même que nos collègues épidémiologistes nous avertissaient depuis plusieurs semaines.

Mon travail de vulgarisation sur Youtube a commencé le 3 février où je postais une vidéo sur les séries temporelles et le changement climatique. le 27 Février, je propose une vidéo sur la vaccination pour expliquer l’immunité de groupe dans le Covid-19. Je partage cette vidéo sur un groupe facebook qui s’appelle Vaccin France Information et Discussion, qui vise à fournir de l’information scientifique sur les vaccins. Je sympathise avec les modérateurs de ce groupe et je fais la connaissance de plein de gens.

Le 15 Mars je sors une vidéo qui explique les effets du confinement sur la propagation du virus.

Le 18 Mars je sors cette fameuse réponse à la vidéo du pseudo gilet jaune qui croyait que sars-cov-2 avait été créé par l’institut Pasteur parce qu’il avait trouvé un brevet qu’il ne savait pas lire. Bref, cette vidéo a été pas mal vue, et j’ai été contacté par France 2 qui faisait un sujet sur la vidéo du pseudo gilet jaune qui n’avait rien compris. C’est à ce moment-là que je me rends compte que mon travail compte et peut être utile.

Le 21 Mars je sors donc ma première vidéo faisant un point sur l’épidémie. Pour faire ces dernières vidéos, je demande beaucoup de relectures aux modérateurs de groupe facebook sur la vaccination, parce qu’ils ont beaucoup plus d’expérience que moi dans ce domaine.

Dans ce groupe, je commence à avoir une petite réputation de mec qui aime bien les stats. Donc quand l’étude Gautret sort, c’est-à-dire la première étude de l’IHU, on la passe en revue ensemble. Et c’est catastrophique, comme expliqué précédemment.

Le 11 Avril, un nouvel article de l’IHU sort, dans Travel Medicine and Infectious Disease, un journal dont plusieurs membres du board éditorial sont des proches collaborateurs de Didier Raoult. Là encore, l’article est accepté en 1 journée. Nouvelle consternation : l’étude ne présente pas de groupe contrôle. Dès lors, il est impossible de savoir si les patients traités guérissent mieux ou moins bien que ceux à qui on ne donne rien. Bon. Encore une étude qui ne permet pas de savoir si l’hydroxychloroquine permet de traiter les malades du Covid-19.

Le 5 Mai rebelote : article de Million sur plus de 1000 patients, sans groupe contrôle encore. A chaque article, je passe un peu de temps à les expliquer sur les réseaux sociaux.

Thibault Fiolet, qui tient la page et le blog Quoi dans mon assiette, publie des analyses très bien faites des articles sur son blog et sa page facebook. Nous sommes mis en relation par une connaissance commune. La première fois qu’il me contacte, c’est pour me dire qu’il trouve mes analyses pourries ^^ .

Thibault, en mode affuté

Le courant passe bien, et très tôt Thibault manifeste son envie de publier des trucs. En fait, Thibault passe tellement au crible les papiers sur l’hydroxychloroquine qu’il publie et met à jour régulièrement sur son blog un tableau synthétisant les différentes études relatives à l’hydroxychloroquine. Parce qu’à cette période, c’est un flou complet pour s’y retrouver. Dans la communauté scientifique, pour ceux qui ont pris le temps de se tenir informés de toutes les études, c’est déjà compliqué, mais alors pour la population et les journalistes, c’est le flou complet.

Le 22 Mai, Thibault propose des ébauches de méta-analyse sur twitter, avec comme outcome la négativation de la PCR à 28 jours. 

Le 22 Mai, c’est aussi le jour où sort l’article frauduleux du Lancet. On est nombreux à être tombés dans le panneau dès le début, parce que méthodologiquement le papier était relativement  propre. Mais les données étaient bidonnées. Et ça en tant que scientifique, c’est quelque chose qui paraît inenvisageable. On a toujours envie de croire à la bonne foi de nos collègues. On a été nombreux à avoir des doutes assez vite en regardant les données de plus près, chacun dans son pays. Personnellement ce qui m’a fait tiquer, c’est d’avoir des statistiques ethniques en France. C’est illégal. Également, pour avoir travaillé un petit peu pour des startups dans le secteur médical, je sais que la remontée de DPI par les hôpitaux est extrêmement encadrée. Beaucoup on dit que c’était impossible de générer et de traiter autant de données en si peu de temps, mais en réalité c’est tout à fait possible, et même pas si difficile si l’infrastructure logicielle est bien faite. Pour les défenseurs de la chloroquine, ce papier est une tentative de discrédit de la molécule pour pouvoir vendre le Remdesivir. Mon avis personnel est que le PDG de Surgisphere a tenté de jouer un coup pour faire de la publicité à sa boîte. En flouant complètement ses coauteurs. Ceci dit, ces derniers ne sont pas tout blancs quand même, car ils auraient dû se poser ces questions de l’origine des données avant de vouloir faire un coup dans le Lancet. Les résultats de l’étude étaient crédibles car les bonnes études sur l’hydroxychloroquine allaient dans le même sens : celui de l’inefficacité de l’hydroxychloroquine. L’article sera rétracté le 5 Juin. Pour les défenseurs de la chloroquine, c’est la preuve qu’il y a un complot visant à invalider ce traitement. Le problème, c’est qu’à cette date, la littérature scientifique ne permet toujours pas de se prononcer en faveur ou en défaveur du traitement. En fait, le fait qu’il y ait eu rétraction, aussi rapidement, montre le bon fonctionnement de la Science. La rétraction d’articles arrive régulièrement, dans TOUS les journaux, même les meilleurs. Souvent, ce processus prend des mois. Ici, le processus d’open peer review a permis de rétracter ce papier frauduleux en 2 semaines, ce qui est très rapide. Le Lancet a bien réagi en prenant immédiatement la mesure du problème et en modifiant sa politique de review et de contrôle pour les futurs articles à venir.

Le 3 Juin, Thibault décide de vraiment essayer de publier quelque chose de sérieux, et il envoie un mail où il me met en contact avec Mathieu, qui relance un peu Anthony. Et Thibault recrute Yahya. Dans cet email, Thibault propose quelques analyses parcellaires, et une vague idée de ce qu’il voudrait faire comme article.. Le groupe whatsapp meta-HCQ est créé dans la foulée.

A partir de là commence une des périodes les plus funs de ma vie de chercheur : on a pas de chefs, on est un peu fous, et on a du temps à tuer, puisqu’on est à la maison. Donc ça discute beaucoup beaucoup, beaucoup. Sur tout.

Et donc là, entre le 3 Juin et le 19 Juin, parce qu’on est surmotivés, on passe du mail embryonnaire de Thibault à : dépôt du protocole sur prospero (9 Juin), recherche, analyse des articles qui nous avaient échappé, ré-analyse, dépôt sur Medxriv. Cela correspond à environ 250 messages sur Whatsapp et une petite dizaine d’emails. Thibault a mis en place un google doc sur lequel on travaille tous simultanément. Sur whatsapp on discute de la pertinence de tel ou tel article, de telle ou telle analyse, etc

On cherche un journal dans lequel publier. On galère un peu. Thibault recrute alors Nathan, le 19 Juin, qui connaît mieux les revues dans le domaine de la médecine et pourra nous aider à donner une couleur davantage “clinique” au papier. Nous essuyons plusieurs refus de la part de revues au motif que ça ne rentre pas dans leur ligne éditoriale, etc. Effectivement, comme c’est un champ de recherche avec lequel on n’est pas familier, pas facile de sentir ce que cherchent les différentes revues. Le 1er Juillet, on pense à CMI, et on se dit qu’on va changer un peu de stratégie en contactant au préalable l’éditeur pour savoir s’il était intéressé. C’est quelque chose qui n’est pas rare dans la recherche, et ça évite d’attendre plusieurs jours que le comité éditorial lise l’article et se prononce. Là, dans l’idée, on lui demande s’ il est intéressé par une méta-analyse. S’il est intéressé, alors on soumettra par la voie classique et notre article suivra le circuit de peer review traditionnel. Pour information, Pr Leibovici, qui est l’éditeur en chef de CMI, est expert en épidémiologie. Il est intéressé, sur le principe, par notre article que nous soumettons donc par la voie classique.

C’est seulement le 26 Juillet que nous recevons les rapports des reviewers (les évaluateurs externes) de CMI. Dans le temps de la recherche, c’est très court, mais pour nous ça a été très long. Il s’est passé beaucoup de choses en 4 semaines : les papiers de de Lamballerie dans Nature, l’apparition de c19study, etc. Dans les commentaires des reviewers, on a pas mal de révisions à faire. Déjà, mettre à jour les données. Et puis une foule de trucs qu’il serait trop long de détailler, comme l’analyse bayésienne. On re-soumet le 1er Août, soit moins d’une semaine après avoir reçu les commentaires des reviewers. Sur le groupe whatsapp, cela représente environ 400 messages, de la sueur, du sang et des larmes. Ok là j’en fais trop, mais c’était beaucoup de boulot, abattu je le rappelle en dehors de nos heures de travail.

Et finalement, le papier est accepté le 10 Août avec une mini révision. Là on est content, mais on sent bien que ça va être un vrai rodéo.

Les courtes réjouissances avant de se préparer à la tempête

Pr Leibovici, l’éditeur de CMI, annonce qu’il veut organiser une press release, c’est-à-dire qu’il veut communiquer sur les résultats de la méta-analyse dans la presse, à sa sortie. Il est assez satisfait de la qualité méthodologique de l’étude. La date de publication est fixée au 26 Août. Donc, nous contactons nos services de presse respectifs. De mon côté, à l’Unine, on a choisi de communiquer pas tant sur les résultats de la méta analyse que sur le côté science citoyenne. Parce que quand même, l’histoire est saugrenue : comment des types qui se sont rencontrés sur twitter et facebook arrivent à pondre une méta analyse dans une très bonne revue, sur leur temps libre, pendant une pandémie. Avec pas de fonds alloués, pas de directeur de recherche, etc. Je me dis que si on peut avoir un article en Suisse pour discuter un petit peu de ce volet là ça serait sympa, ça donne une image plutôt sympathique de la recherche.

On organise également la sortie de notre côté en faisant beaucoup de vulgarisation. Thibault prépare une vidéo collaborative pour expliquer le travail qui a été fourni. De mon côté je prépare 2 vidéos : une très courte qui explique les résultats, et une très longue (45 minutes), qui explique les la méthodologie et les statistiques de la méta-analyse. D’ailleurs, cette vidéo a été vue plus de 2000 fois, ce qui est beaucoup pour une vidéo de ce type.

Dernière chose, nous réfléchissons à mettre en place un site web pour répondre aux questions. Parce que nous sommes dans une démarche de vulgarisation depuis des mois, et que l’on sait que notre étude va soulever des interrogations légitimes dans la population, nous décidons d’adresser ces questions de façon transparente. C’est très important d’expliquer la démarche scientifique si on veut développer l’esprit critique.

Une campagne de harcèlement, diffamation, et trolling

Le 26 Août la méta-analyse sort, après un long embargo (l’article a été accepté début Août), le temps pour CMI de faire le typesetting et d’organiser le press release. Et honnêtement, je n’étais pas préparé. La veille au soir j’ai fini d’enregistrer ma très longue vidéo vers 3h du matin pour me dégager la journée du lendemain et aller faire de l’escalade. En réalité, le téléphone commence à sonner à 8h30, avec la RTS qui m’invite à participer à l’émission du radio CQFD du lendemain. S’ensuit un appel de la RTN, du Temps, de Heidi News, et une foule d’e-mails. La réponse aux différentes sollicitations s’arrête vers 22 heures. Le lendemain, le programme est chargé : je pars le matin à Lausanne pour l’émission de Radio, puis j’ai une interview avec le téléjournal de la RTS (l’équivalent du 20h de France 2 en Suisse), où je rencontre Mathieu et Anthony pour la première fois. 

Notre rencontre en face des studios radio de la RTS, avant de commencer le tournage pour le 19:30

Vous pouvez écouter l’interview radio dans le lecteur ci-dessous.

Ensuite je rentre à Neuchâtel où j’ai une interview pour le Courrier, puis une interview avec Canal Alpha, puis une interview avec Heidi News. Et il est 18h.

C’était une expérience intéressante et, ce qui ressort des différents échanges avec les journalistes, c’est qu’ils ne croient plus sur parole Didier Raoult, qu’ils en ont un peu marre de ses postures, et qu’ils cherchent de l’info fiable. Certains d’entre eux s’inquiètent des répercussions que notre étude va avoir sur nos vies, à nous, les coauteurs.

Et ils ne se sont pas trompés. Côté IHU, on nous promet la déculotté, et on sort une “méta analyse en temps réel”, qui n’a rien d’une méta analyse, sur un site web. Didier Raoult sort même une vidéo adressant la méta analyse, dans laquelle il nous qualifie de “jeunes pleins de jus”, un qualificatif qu’on a vite adopté, et où il fait un tour de cartes (raté) pour nous accuser de cherry picking. 

Une campagne de sea lionning se met en place. Qu’est-ce que le sea lionning ? C’est une technique de troll qui consiste à poser une série de questions supposément de bonnes fois, en rafale, pour forcer son interlocuteur à se mettre en colère et retourner ses éventuels dérapages contre lui. Le but est de créer une polarisation du débat et simultanément de discréditer le travail mené en utilisant le déshonneur par association : si les auteurs ne sont pas irréprochables dans la vie, alors comment leur travail pourrait-il l’être ?

Le but de la sphère Raoult ? Faire que notre étude soit rétractée d’une part, et que nous soyons nous, en tant qu’auteurs, discrédités. On reçoit trois lettres à l’éditeur de la part la sphère pro-hydroxychloroquine, qui se réduit comme peau de chagrin, avec plus ou moins les mêmes commentaires auxquels nous avions déjà répondu sur pubpeer. Deux de ces lettres ont un auteur commun, ce qui est très très rare dans le milieu scientifique. Sur twitter, c’est un festival, avec la clique habituelle, dont je ne donnerai pas les noms pour ne pas leur apporter de followers. Mais quand, pour critiquer un article (et la critique d’un article est quelque chose de respectable), on en arrive à qualifier Thibault de “boat people student” et Yahya, de “minorité visible”, alors que tous les deux ont des compétences indéniables en épidémiologie et en méta-analyse, c’est risible. C’est significatif du délire et de la méchanceté ambiants. Délire et méchanceté tellement présents chez les aficionados du traitement qui  ne marche pas que nous avons reçu des menaces de mort en assez grand nombre. Et que ça use d’expressions complètement idiotes : Fioletgate, Puceauxgate, etc. Et que ça invente une passion amoureuse entre Nathan et son chef… C’est lamentable. Nous ne sommes pas dans un débat d’opinion, mais dans la construction d’un consensus scientifique. Pour un traitement, soit il marche, soit il ne marche pas. C’est tout. Et peu importe qui écrit l’étude. Didier Raoult va même jusqu’à sortir un livre qui s’appelle “La Science est un sport de combat”. Personnellement dans la recherche, je n’ai pas d’adversaire, je n’ai que des partenaires avec qui j’échange beaucoup pour améliorer mon raisonnement et mes connaissances. Considérer que la Science nécessite forcément de s’opposer à des pairs est une hérésie, peut-être belle à entendre pour qui n’est pas scientifique. Mais une hérésie.

Fait étonnant mais néanmoins cocasse : nos “détracteurs” nous attaquent sur la méthode, alors que cela fait des mois qu’ils invalident la méthode scientifique en l’opposant à l’expérience de terrain. Il faut se décider : soit la méthode est importante, soit elle ne l’est pas. Si elle l’est, je les invite à analyser avec autant de fougue les biais des études montrant un effet positif de l’hydroxychloroquine, dont une bonne partie sort de l’IHU (ou de Zelenko). Petit tuyau : les biais dans ces études sont tellement évidents que j’utilise ces études dans l’enseignement que je dispense, pour que mes étudiants y identifient les erreurs et ne les commettent pas eux-même plus tard. ça ne leur demande pas un effort insurmontable de les trouver.

D’ailleurs, s’il y a quelque chose d’assez constant depuis Mars, c’est la capacité fascinante des militants pro-hydroxychloroquine (car à ce stade il ne s’agit plus de Science, mais de militantisme), à analyser de façon très détaillée les études concluant au non-effet de l’hydroxychloroquine, tout en n’ayant aucun problème avec les études toutes pétées qui montrent que l’hydroxychloroquine fonctionne. Ils crient au scandale avec l’article du Lancet qui a été rétracté, mais le vrai scandale c’est qu’aucun de leurs papiers à eux n’ait été rétracté. Typiquement, le premier Gautret et al; n’aurait jamais dû être publié, et je doute fort qu’il l’aurait été dans une revue indépendante de l’IHU. Violaine Guérin a bien publié un truc dans une autre revue, qui s’est avérée être une revue prédatrice. C’est ce que Mathieu a démontré avec son célèbre canular sur les trottinettes. Canular qui lui a valu d’ailleurs des tombereaux de merde de la part de ceux qui aimaient à croire que le papier de Guérin était valable.

Et dernièrement, coup de grâce, avec Hold-Up, où nous sommes accusés de fraude scientifique, et d’avoir indirectement provoqué la mort de milliers de personnes. On a tellement fraudé que, pour le fun, je vous mets la liste de 13 méta-analyses ayant plus ou moins la même conclusion que la nôtre :

Juul : https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1003293

Pathak : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1871402120303362?via%3Dihub#!

Mega : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33082891/

Kashour : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33031488/

Tzu-han Yang : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32947506/

Misra : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32810285/

Elavarasi : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32885373/

Patel : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32519281/

Ullah : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32849936/

Axfors : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.09.16.20194571v2.full.pdf

Wang : https://spcare.bmj.com/content/bmjspcare/early/2020/09/20/bmjspcare-2020-002554.full.pdf

Kashour : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33031488/

Singh: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7215156/

Bien sûr, notre étude n’est pas parfaite, mais ses conclusions sont solides. Le fait que d’autres études indépendantes arrivent aux mêmes résultats est bon signe.

Quel bilan ?

Au final, cela reste une très belle expérience, qui m’a fait mûrir dans mon rôle de chercheur. On a fait un travail honnête, bénévolement. C’est un exemple que j’ai souvent donné, mais à ce moment-là de la pandémie tout le monde voulait un peu aider par rapport à ce qu’il savait faire. Certains ont fait des masques, d’autres ont cuisiné pour les soignants, etc. Nous on a fait une méta-analyse. On l’a faite vraiment dans l’intérêt général car, individuellement, nous n’avions rien à y gagner. Nous n’avons pas pour but de faire carrière en épidémiologie, nous n’avons rien à vendre (livre ou film), et nous ne sommes rincés par aucun labo.

On savait très bien que publier cette méta-analyse, dans ce climat puant, nous exposerait à des tombereaux de merde, mais on l’a fait quand même. Pas par intérêt personnel, mais parce que l’on jugeait que c’était un travail nécessaire et qu’on avait le temps et l’envie.

Il y a de nombreux points positifs que je n’avais pas anticipés. Déjà, j’ai de nouveaux amis. Ensuite, j’ai étendu mon réseau vers des gens passionnants que je n’aurais jamais eu l’opportunité de rencontrer autrement. Et pour ça je dois remercier la Raoultsphere qui, à force de taper sur tout le monde, a réussi à plus ou moins nous unir.

J’ai été approché par le directeur de l’Institut de Mathématiques de mon Université, et nous avons commencé une belle collaboration. J’ai pu intégrer, grâce à ce même directeur, un institut de recherche transversal de l’Université de Neuchâtel. J’ai rejoint la Fédération Covid-19 dans laquelle nous essayons de donner de l’information sourcée sur le Covid. J’ai pu participer à une émission de la Tronche en biais, ce qui m’a valu une certaine reconnaissance de la part de mes étudiants, ou du moins d’une partie de mes étudiants. Je pense que j’ai gagné environ 10 points de swag à ce moment-là.

Enfin, j’éprouve la satisfaction d’avoir fait, avec mes camarades, quelque chose que j’estimais juste, en dépit du bordel ambiant et de la possibilité de “représailles”. Et en ça, je me suis découvert des valeurs transmises qui me sont chères. Si on regarde la balance bénéfice/nuisance, cela en valait la peine. 1000 fois.

Donc la voilà la vérité sur notre très grande fraude scientifique. Nous sommes justes des types normaux, avec une éducation scientifique. Et nous avons produit dans notre temps libre une étude dont la qualité a été jugée suffisante pour être publiée dans une revue à comité de relecture réputée. Nous n’avons pas fait d’étude à charge, et les résultats auraient montré un bénéfice de l’hydroxychloroquine que nous aurions été ravis. Nous attendons tous un traitement efficace pour cette maladie qui bouscule nos quotidiens. Notre seul tort dans cette affaire a été… de remettre en cause, par état de fait, la parole d’un mandarin qui ne supporte pas de s’être trompé.

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