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Cher Axel,

J’écris ce texte alors que vous êtes toujours vivant ou, comme vous l’écriviez “pas encore mort”. Si je m’adresse à vous, pourquoi ne publier ce texte qu’après votre départ ? La réponse est simple : je ne veux pas risquer l’indécence que vous puissiez me lire. Je ne suis pas de taille. Pourquoi alors ne pas écrire ce texte plus tard ? Encore une fois, la réponse est simple : je ne pense pas avoir le cœur à écrire ce billet une fois que la nouvelle de votre décès aura été portée par les médias.

La tentation est grande, et je laisse ce soin à d’autres, d’écrire des éloges dithyrambiques sur l’homme, vous portant aux nues et occultant toute forme de défaut que vous eussiez pu avoir. Je ne m’y risquerai pas. En tant qu’homme, je ne vous connais pas. Je ne connais pas vos faiblesses, vos failles, vos part d’ombre. Je suis sûr que vous en aviez, comme chacun. Aujourd’hui, cela ne m’intéresse guère. Ce dont je veux parler aujourd’hui, c’est de l’homme de Science, et de l’humaniste. Celui qui pendant cette pandémie a été exemplaire à bien des égards. Oh je sais que d’aucun vous reprocheront cet épisode au sortir d’un TGV, ou d’avoir retiré votre masque un peu précipitamment après votre vaccination. Aurait-on pu exiger de vous d’être un saint homme ? Je ne crois pas.

En vérité, je ne sais pas où me mènera l’écriture de ce texte. J’aimerais parler avec justesse de votre engagement durant cette période de Covid, mais je ne sais pas par où commencer. Vous avez toujours été mesuré, en tout cas dans mon souvenir, bien que vous ayez qualifié les désinformateurs d’abrutis sans sourciller sur un plateau télé. Un grand moment. Pour d’autres, cela aurait donné lieu à un scandale. Mais pas pour vous. Vous n’avez jamais oublié l’humain durant cette pandémie, en rappelant souvent à quel point il était bon de serrer dans ses bras les gens qu’on aime. En comprenant le besoin de vie sociale des gens. En rappelant aussi qu’une pandémie non maîtrisée, c’était aussi des soins déprogrammés pour toute une série de pathologies, dont les cancers. Je crois que de ce point de vue vous avez représenté la Ligue de la meilleure façon.

Vous avez toujours été du côté de la Science. J’ai un souvenir ému lorsque je revois votre tweet de soutien adressé à un collègue, et par extension au jeune chercheur que je suis. Ce message, vous l’aviez posté alors que, suite à la publication de notre méta analyse montrant l’inefficacité de l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid, nous devions faire face à une vague de harcèlement usante. Vous aviez écrit, usant parfaitement dles 240 caractères qui vous étaient disponibles :

“Je ne suis pas anonyme, je suis un médecin, scientifique, spécialiste de l’éthique médicale et autre, je n’ai aucun lien d’intérêt avec Gilead ni quiconque, je suis président de La Ligue contre le cancer, profondément indigné par ce que vous subissez. Je vous soutiens.”

J’ai eu à ce moment une pensée émue pour mon père, qui aurait été si fier et si touché de voir son jeune chercheur de fils recevoir votre soutien. Ce jour-là, dans la noirceur des insultes que nous recevions, vous avez été une lumière. Une lumière qui m’a permis de traverser la tempête, en sachant que mon travail était juste. Une lumière qui a été le début d’une vague de soutien publique de la part de grands comptes.

Aujourd’hui, quand j’écris ce texte, vous menez votre dernier combat. Aujourd’hui, quand ce texte est lu, vous avez gagné votre dernier combat. Vous le menez avec panache. Avec une sérénité et une poésie qui, au delà d’appeler en moi un sentiment de respect, est apaisant. Au milieu de tout ça, vous êtes l’objet d’attaques infâmes par votre ancienne doctorante, Brutus. La façon dont vous balayez ces inepties avec un certain délice m’a fait sourire. J’espère, lorsque mon heure sera venue, avoir le même sentiment d’accomplissement que celui que vous exprimez.

Je ne vous connais pas, cher Axel Kahn. Pas personnellement. Je n’aurais pas le plaisir de vous rencontrer. En revenant sur votre contribution à cette crise, je me suis pris l’envie de paraphraser César, incarné par Pierre Mondy, s’adressant à Arthur et qui parlant des héros disait : tu sais ce que c’est leur secret ? ils ne se battent que pour la dignité des faibles. Je crois que c’est ce que vous avez fait.

J’ai le cœur un peu lourd d’avoir écrit ce texte. Je n’ose imaginer ce que cela sera lors de votre départ. Alors, pour vous dire au revoir, permettez-moi de joindre à ce billet la mort du loup, poème qui vous accompagne dans vos derniers jours.

La mort du loup

I

Les nuages couraient sur la lune enflammée

Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,

Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.

Nous marchions sans parler, dans l’humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,

Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,

Nous avons aperçu les grands ongles marqués

Par les loups voyageurs que nous avions traqués.

Nous avons écouté, retenant notre haleine

Et le pas suspendu. — Ni le bois, ni la plaine

Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement

La girouette en deuil criait au firmament ;

Car le vent élevé bien au dessus des terres,

N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,

Et les chênes d’en-bas, contre les rocs penchés,

Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,

Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête

A regardé le sable en s’y couchant ; Bientôt,

Lui que jamais ici on ne vit en défaut,

A déclaré tout bas que ces marques récentes

Annonçaient la démarche et les griffes puissantes

De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,

Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,

Nous allions pas à pas en écartant les branches.

Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,

J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,

Et je vois au delà quatre formes légères

Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,

Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.

Leur forme était semblable et semblable la danse ;

Mais les enfants du loup se jouaient en silence,

Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,

Se couche dans ses murs l’homme, leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,

Sa louve reposait comme celle de marbre

Qu’adoraient les romains, et dont les flancs velus

Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.

Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées

Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.

Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;

Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,

Du chien le plus hardi la gorge pantelante

Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,

Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair

Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,

Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,

Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,

Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.

Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.

Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;

Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.

Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,

Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

Et, sans daigner savoir comment il a péri,

Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

 

II 

J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,

Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre

A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,

Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,

Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve

Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;

Mais son devoir était de les sauver, afin

De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,

A ne jamais entrer dans le pacte des villes

Que l’homme a fait avec les animaux serviles

Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,

Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

 

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,

Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,

C’est vous qui le savez, sublimes animaux !

A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse

Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

– Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,

Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au coeur !

Il disait :  » Si tu peux, fais que ton âme arrive,

A force de rester studieuse et pensive,

Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté

Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.

Gémir, pleurer, prier est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,

Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler

Alfred de Vigny (1797 – 1863)

 

 

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