Edit : l’auteur du message m’a contacté a posteriori. Il a eu raison d’engager la conversation, c’est une bonne démarche. Comme je le dis plus bas, ma réponse s’adresse à l’ensemble de la Team Colcorona plutôt qu’à lui en particulier. J’aurais probablement écrit ce même article s’il ne m’avait pas contacté. Cela a juste été un déclencheur.
(Retrouvez mes 2 billets sur la colchicine en podcast en cliquant ici)
Suite à mon dernier billet de blog sur l’étude Colcorona portant sur la Colchicine, j’ai été contacté par un membre de l’équipe Colcorona, impliqué dans l’étude, que voici :
Je vous partage ci-dessous ma réponse à ce message, puisque cette réponse décrit très bien mon état d’esprit face à ce communiqué de presse. Voici ma réponse :
Bonjour,
Merci pour votre message. J’avais pris connaissance de la faq à sa publication.
Dans le reste du message, je vais utiliser « vous », pour désigner l’équipe qui gère ce projet, pas votre personne nominativement.
Je n’ai aucun problème avec votre étude, parce que je sais les lire, les études. C’est mon métier. Elle a un protocole bien décrit. Elle dit des choses, et elle pointe des choses qu’elle ne peut pas dire et pour lesquelles davantage de travaux sont nécessaires. Je comprends bien les limites d’outcome composite et, concernant les p-values qui sont limites, ça ne me dérange pas plus que ça, étant plutôt partisan de l’abandon des p-values au profit d’une approche bayésienne.
Donc oui, si on s’en tient à l’étude, la colchicine semble être associée à une diminution des outcomes primaires et secondaires. Simplement, les conditions de l’étude ne permettent pas d’avoir une forte crédence dans les RR moyens rapportés. On ne peut pas savoir si ces effets sont supérieurs à ces RR moyens, ou marginaux, voire nuls.
Ce en quoi je suis en total désaccord avec vous, c’est le communiqué de presse, qui lui est scandaleux. Vous dîtes, à juste titre, qu’il est écrit dans le communiqué de presse que « Ce résultat obtenu pour l’ensemble des 4 488 patients de l’étude approchait la signification statistique. ». Cependant, vous blâmez les medias de n’avoir pas pris en compte cette phrase. Or, ceci est de votre responsabilité. Les journalistes ont pour la plupart un bagage littéraire et ne sont pas à même de comprendre les risques relatifs ou la significativité statistique. Vous écrivez un communiqué de presse, c’est votre job de bosser votre audience design et de faire attention à comment votre message sera perçu. En écrivant « Ce résultat obtenu pour l’ensemble des 4 488 patients de l’étude approchait la signification statistique. » au lieu de « Ce résultat n’est pas statistiquement significatif », vous modifiez la grille de lecture du communiqué de presse par les rédactions, en étant au mieux trop optimiste, au pire manipulateur. Vous êtes les seuls à savoir placer ce curseur, car je ne peux pas préjuger de votre intention première. Votre communiqué de presse est beaucoup trop affirmatif et claironnant au regard des résultats rapportés par l’étude. Cette discordance est de votre fait, et de votre responsabilité.
Quelle urgence y avait-il à publier un tel communiqué de presse ? En quoi cela a t-il amélioré la prise en charge des patients ? Nullement. Vous savez bien que les recommandations et les autorisations pour des traitements contre la Covid-19 sont mises à jour de façon continue par les différentes institutions nationales et internationales, sur la base des études publiées. Ce que votre communiqué n’est pas. Là où votre communiqué de presse a une incidence, en revanche, c’est sur la prescription hors autorisation de mise sur le marché de la colchicine par des médecins sur la base de ce seul communiqué de presse. C’est aussi des patients qui demandent à se voir prescrire ce médicament, sur la base de faibles preuves d’efficacité. Je ne m’explique par l’urgence de votre démarche. J’ose espérer qu’elle ne pas le fait d’une demande de vos sponsors, dont certains commercialisent la colchicine. J’espère vraiment que ce n’est pas à cause de ça.
Nous sommes en période de pandémie. Tout le monde en a marre. Tout le monde a envie qu’on trouve un traitement. Tout le monde. Et dans ce contexte, la population est abreuvée d’informations et de désinformations au sujet de différents traitements. Cela a des effets désastreux. Entre les annonces marseillaises sur l’hydroxychloroquine, Gilead qui vend son Remdesivir alors que les résultats des RTC sont très médiocres, les camelots qui viennent vendre leur vitamine D, Zinc, et tout le toutim. L’ivermectine qui sort du bois et se positionne en remède miracle sur des bases faibles. Cela fait presque un an que je me bats contre ça, m’exposant à du harcèlement, de la diffamation, et des menaces de mort. Pourquoi ? Parce que toutes ces annonces suscitent de l’espoir, infondé, chez les gens qui vivent (à raison) très mal cette pandémie. Et quand on retire de l’espoir aux gens, ils ne se laissent pas faire. C’est compréhensible et je ne leur en veux pas.
En revanche je vous en veux, à vous, d’avoir joué sur ce terrain. D’avoir survendu des résultats pas si fous dans un communiqué de presse triomphant. ça c’est votre responsabilité. Là où je vous en veux, c’est d’avoir survendu de l’espoir sur des bases aussi faibles.
Cordialement,
Dr. Matthieu Mulot
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