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Anticorps monoclonaux : que dit la publication ?

Bon, après la colchicine, c’est au tour des anticorps monoclonaux d’apparaître dans les médias suite à la décision du gouvernement d’en commander des doses sur la base de cette publication. Et comme c’est quand même 1000 balles la dose, ça vaut le coup de savoir si ça marche ou pas.

Comment ça marche ? Le principe des anticorps monoclonaux, c’est de fabriquer des anticorps de synthèse, dans un laboratoire, qu’on injecte à un patient en début de maladie. Ces anticorps sont conçus pour se lier à la protéine S du virus, l’empêchant ainsi de rentrer dans les cellules et de s’y reproduire. Donc en théorie, c’est top. Maintenant, que dit la publi ?

Quoi ?

C’est un essai randomisé en double aveugle (RCT) sur 613 patients en ambulatoire (Covid léger).

Ils testent l’effet du bamlanivimab à différentes doses (700 mg [n = 101], 2800 mg [n = 107], or 7000 mg [n = 101]) , puis l’effet d’une combinaison de bamlanivimab + etesevimab (dose fixe : 2800 mg de chaque).

Le traitement démarre dans les 3 jours suivant le premier test PCR positif.

Critères de jugement (endpoint)

Le critère principale est la réduction de la charge virale par rapport au niveau de départ (en log) au jour 11, mais … ± 4 jours. Donc entre le jour 7 et le jour 15. ça varie du simple au double ! 7 à 15 jours après les premiers symptômes, c’est environ le temps normal de disparition du virus. Donc pour évaluer, c’est pas simple. Surtout si on compte la fourchette de 3 jours après la PCR. On a une fourchette entre 7 jours et 18 jours.

Ensuite il y a 9 (9 !) critères secondaires :

3 autres mesures de charge virale :

– temps jusqu’à disparition de la charge virale

– proportion de patient avec charge virale indétectable à J7, J11, J15, J22 (alors là déjà on a un problème, parce que ça fait pas 3 critères, ça en fait bien plus. Mais bon.)

– AUC à J29 (trop compliqué à expliquer dans un post bref) ,

5 critères sur les symptômes,

– changement dans le score des symptômes à J7, J11, J15, J22

– temps avant amélioration des symptômes

– temps avant disparition des symptômes

– proportion de patients montrant une amélioration des symptômes à J7, J11, J15 et J22

et 1 critère clinique , bien composite comme il faut : (hospitalisation, visite aux urgences, ou décès à J29). Là ça fait beaucoup. On avait déjà parlé des outcomes composites sur la colchicine, si vous vous souvenez bien.

Bon, on passe sur les critères d’évaluation des symptômes, c’est anecdotique à ce niveau. Ils ont aussi tenté une stratification par durée des symptômes (plus de 8 jours ou moins de 8 jours) mais ça a pas super bien marché parce que, ha mince, seulement 8 % des patients ont eu des symptômes durant plus de 8 jours. Bon à leur décharge, ils avaient commencé la manip début 2020, et ils étaient p’tet pas hyper au point sur la durée des symptômes.

Analyse et résultats

Le premier problème qu’on voit, c’est qu’avec autant de critères de jugement, si on ne corrige pas pour des tests multiples (ce qu’on DOIT faire quand on teste plusieurs hypothèses sur le même jeu de données), on va se retrouver avec des critères avec une différence significative, juste par hasard. Des faux positifs quoi. Et ben devinez quoi, les auteurs n’ont pas corrigé. Là, c’est du data dredging. C’est mal. D’ailleurs les auteurs disent bien dans le papier que vu que y a pas de correction pour tests multiples, faut pas trop interpréter les résultats : « Adjustments for multiple testing were not conducted for this study; therefore, the findings should be interpreted as exploratory. ». Donc on ne va même pas regarder ces critères.

Bon point, pour le critère principal, ils ont utilisé un modèle à mesures répétées, qui prend en compte le fait qu’on prend des mesures successives sur le même individu. Bon, ben les résultats c’est pas top top. Seule la combinaison bamlanivimab + etesevimab permet de réduire significativement la charge virale à J11, mais vraiment de façon marginale :

Pour la courbe (panel B), j’aurais bien aimé qu’il y ait les intervalles de confiance. Ça aurait pas été tout à fait la même tisane. Si vous vous demandez pourquoi je dis ça, voilà les résultats bruts qu’il y a dans les annexes (on appelle ça le supplementary material) :

Alors ? Il est pas beau mon signal ?

Donc bon, les résultats sur les critères secondaires sont pas top, et c’est dommage parce qu’ils avaient prévu un chouette modèle bayésien qu’ils n’ont pas fait (c’est dans la deuxième annexe, avec le protocole prévu ; ça fait 267 pages si vous avez le courage). Et avec ça on aurait sans doute eu un peu plus de finesse dans les résultats.

Donc bon oui, on réduit légèrement la charge virale à J11, mais y a largement pas de quoi se taper le cul par terre. Et très franchement, si certains le font, c’est pas de la faute des auteurs. Parce que les auteurs décrivent très bien leur protocole, et surtout, ils expliquent très bien les limites de l’étude :

Cette étude a plusieurs limites. D’abord, cet essai a à l’origine été conçu pour évaluer la sécurité du traitement et les biomarqueurs. (This study had several limitations. First, the trial was originally designed as a safety and biomarker study.)

Deuxièmement, la population d’étude est petite, ce qui rend la détection de différences intéressantes sur le plan clinique entre les groupes difficile. (Second, the patient population was small, which made detecting clinically meaningful differences between treatment groups more difficult.)

Troisièmement, seule une dose pour la combinaison d’anticorps a été choisie pour cette étude. Comme l’activité antivirale de l’etesevimab ou des différentes combinaisons n’a pas été évaluée, il est difficile de déterminer si une plus grande réduction dans la charge virale observée dans le groupe avec la combinaison de traitements est due à un effet additif ou synergique, ou différentiel de l’etesevimab. (Third, only 1 combination dose was chosen for this study. Because the antiviral activity of etesevimab monotherapy or different combination doses was not investigated, it is difficult to determine whether the greater reduction in viral load observed in the combination group was due to additive or synergistic effects vs differential efficacy of etesevimab.)

Quatrièmement, le critère principal à J11 peut avoir été trop tardif dans la réponse immunitaire pour détecter un effet des traitements. Tous les patients, y compris ceux ayant reçu le placebo ont présenté une diminution substantielle de la charge virale à J11. Une investigation à J3 ou j7 aurait possiblement été plus appropriée pour mesurer la charge virale (Fourth, the primary end point at day 11 may have been too late in the immune response to optimally detect treatment effects. All patients, including those who received placebo, demonstrated substantial viral reduction by day 11. An earlier time point like day 3 or day 7 could possibly have been more appropriate to measure viral load.)

Cinquièmement, la phase d’analyse génotypique et phénotypique complète de l’étude est encore en cours et les données sur la résistance montrées ici sont limitées aux échantillons disponibles au moment de faire les analyses. (Fifth, the full genotypic and phenotypic analysis of the trial is still ongoing, and the resistance data presented here are limited to the sample sequences that were available at the time of this analysis.)

Conclusion

Les résultats de cet cet article ne justifient EN RIEN l’achat massif d’anticorps monoclonaux pour traiter le Covid et prévenir les formes graves. C’est d’ailleurs le sens des conclusions des auteurs de l’article.

Je me demande sur quelles autres informations se base le gouvernement.

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